03.Les chantiers fantômes que le pétrole a payé aux tout-puissants

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Le paiement que Petrocaribe a fait pour des chantiers inexistants a rempli les poches d’au moins trois présidents, des sénateurs et de puissants groupements d’entreprises de la région. Le plan pour reconstruire Haïti après le dévastateur tremblement de terre de 2010 est la meilleure preuve de comment la corruption a lésé à deux reprises les citoyens qui ont déposé leurs espérances dans ces fonds.

Un jeune traverse à la hâte la fréquentée Route Nationale 2 de Haïti, en poussant une charrette avec des blocs de glace qu’il espère faire passer de l’autre côté de la rue. Tous les jours il risque a vie juste pour conserver au frais le poisson qui est vendu au bord de la congestionnée voie. De l’autre côté, l’attend Monzus Senatus, un homme grand qui, depuis presque sept ans, vend sur un étroit morceau de trottoir vu qu’ils l’ont délogé de même que ses collègues du vieux marché de Fontamara. Les autorités ont démoli l’installation pour en construire une nouvelle, mais ils ne l’ont pas terminée.

Le charretier a de la chance d’arriver sain et sauf de l’autre côté. Avec une certaine fréquence les véhiculent qui circulent par-là ont renversé mortellement des piétons. La dernière fois a été en mars 2018. Les vendeurs de poisson et la communauté ont protesté pour qu’ils terminent le marché une bonne fois pour toutes, comme à chaque fois qu’un des leurs est renversé. Mais ça n’a servi à rien. « Nous n’avons pu parler avec aucune autorité et nous ne savons même pas à qui nous adresser », se lamente Senatus. Là demeure la masse de béton inachevé, dans le dos de cette ligne de vendeurs de poissons qui, depuis 2012, cohabite avec la menace des automobiles qui entrent et sortent de Port-au-Prince. Sur le sol du troisième niveau de la structure sont pendues des tiges d’acier entremêlées comme le squelette d’un toit inexistant, entre clous, ordures et excréments d’animaux. 

Monzus Senatus est un des vendeurs qui a maintenant son poste au bord de la route à Fontamara/DENNIS RIVERA, « QUOTIDIEN LIBRE » RÉPUBLIQUE DOMINICAINE

Le marché de Fontamara est un des plus de 130 projets dont la construction a été planifiée dans ce pays financés à partir des fonds de Petrocaribe, l’accord énergétique de vente de pétrole avec des crédits préférentiels stimulé par le gouvernement du Venezuela. De ces ressources dépendait en bonne mesure la reconstruction nationale d’Haïti, suite au puissant tremblement de terre qui a dévasté le pays en 2010, a causé plus de 300 000 morts, a fait 1,5 million de sinistrés et a fait collapser l’infrastructure du pays y compris le vieux marché qui a déjà été démoli. La nation sud-américaine a fourni 3 833 millions de dollars comme partie du programme de coopération, mais du total il y a eu 2 119 millions de dollars qui ont été mis à part par les gouvernements haïtiens pour exécuter le plan des travaux. L’initiative a fini par se convertir en une source de fraude qui a déçu la population haïtienne et l’a motivé à promouvoir des campagnes de réseaux sociaux et à protester dans les rues pour demander des représailles contre les corrompus. Les manifestations pour ce motif en 2018 ont fait sept morts, des dizaines de blessés et ont provoqué une crise dans le gouvernement d’Haïti.

L’enquête de #Petrofraude révèle qu’avec les fonds vénézuéliens ont été privilégiées les affaires du président Jovenel Moïse, du sénateur dominicain Félix Bautista et de groupements d’entreprises et familles ayant des relations avec le pouvoir dans toute l’île d’Hispaniola. Des montants millionnaires pour soulager les séquelles d’une catastrophe dans le pays le plus pauvre d’Amérique Latine, se sont terminés en des contrats avec surfacturation, en compte bancaires étrangers, en constructions qui n’avaient rien à voir avec la réparation post-tremblement de terre et en travaux qui ont commencé mais qui à ce jour n’ont pas encore été terminés. L’itinéraire de l’argent vise également l’œuvre sociale de Leonel Fernandez, ex-président de la République Dominicaine ; et le financement de campagnes de candidats présidentiels comme Michel Martelly, qui a obtenu la victoire à Haïti en 2011, et d’Alejandro Toledo, ex-président péruvien qui a essayé sans succès de revenir au pouvoir lors du scrutin de cette année-là.

Des journalistes de cette enquête ont visité à Haïti presque une dizaine de projets financés avec l’argent de Petrocaribe pour vérifier leur avancée, ont utilisé des drones pour capter des images de quelques-uns d’eux, ont analysé trois audits réalisés par le Sénat et la Cour des Comptes de ce pays, ont vérifié des plaintes judiciaires contre des fonctionnaires pour la présumée mal utilisation de ces prêts et ont examiné l’information comptable pour reconstruire la plus grande fraude documentée survenue avec des projets d’infrastructure financés par Petrocaribe dans la région.

La plateforme énergétique a lancé parmi les pays membres au moins 234 travaux et programmes dans les domaines pétrolier, électrique, portuaire et aéroportuaire et urbain, parmi d’autres, conformément à un inventaire réalisé pour cette enquête. Selon le rapport de gestion de Petrocaribe publié en 2015, les investissements ont même contribué à stimuler le Produit Intérieur Brut du secteur de la construction dans les pays membres. Le plus grand chantier du portefeuille serait « Complexe Raffineur Suprême Rêve de Bolivar » au Nicaragua qui impliquerait un investissement de plus de 4 100 millions de dollars, conformément aux déclarations officielles. Le projet, cependant, a été entamé mais n’a jamais été achevé. Le plan d’infrastructure d’Haïti est le deuxième plus grand en ce qui concerne le montant, mais à la différence du Nicaragua, dans ce pays, l’échec des résultats qui ont indigné la population a mis la pression sur les institutions pour qu’elles proposent une sorte de réponse envers la fraude.

Aucunes des évidences qui provoque un malaise ont été significatives pour les autorités vénézuéliennes impliquées dans l’accord. Mary Barton-Dock, représentante de la Banque Mondiale dans le pays caribéen, en décembre 2013, a demandé au gouvernement haïtien dans une déclaration publique, qu’elles confrontent la corruption avec les fonds de Petrocaribe. Pedro Canino Gonzalez, alors ambassadeur vénézuélien, l’a rapidement contredite et a affirmé que l’exécution était transparente et que le président Nicolas Maduro était « très satisfait » en ce qui concerne la gestion des fonds de l’accord.

En avril 2014, Michel Martelly, alors président haïtien, a prononcé une phrase qui a condamné sa gestion : « Je vais annoncer quelques mauvaises nouvelles. Nous avons fait tellement de travail dans le pays que les caisses de l’État n’ont plus un centime ». Presqu’un an plus tard, Rafael Ramirez, alors chancelier et ex-président de « Petróleos de Venezuela » (Pdvsa), entreprise qui fournit le pétrole dans la région, a visité Haïti et, selon le quotidien Le Nouvelliste, il s’est félicité de constater « que les projets sous l’accord de Petrocaribe sont consistants avec les idéaux préconisés par le gouvernement vénézuélien ».

Le sénateur Yourie Latortue, qui a réalisé au milieu de 2016 un audit au nom de la Commission d’Éthique et Anticorruption du Sénat, a signalé dans une interview pour ce travail que se féliciter de la façon dont était dépensé l’argent a toujours été le dénominateur commun parmi les fonctionnaires vénézuéliens qui ont visité Haïti pour superviser l’exécution de la coopération, mais c’est faux. « Nous voulons que ceux qui se sont appropriés de l’argent soient jugés et qu’ils soient obligé de le restituer à l’État haïtien pour qu’il puisse réellement être investi », a déclaré Latortue.

À la fin de 2017 le Sénat haïtien a présenté un autre audit sur l’utilisation d’un total de 1 600 millions de dollars de cette coopération vénézuélienne et a démontré qu’ont été violées les formalités dans les appels d’offre, ont été établis des contrats pour cacher les irrégularités ou gonfler les prix des constructions, ont été versés et déviés des fonds illégalement vers d’autres projets, ont été adjudiqués des contrats millionnaires à des entreprises récemment créées auxquelles ont été avancées d’énormes quantités d’argent, malgré qu’elles n’aient même pas présenté d’études de faisabilité.

Le rapport, qui a été à la charge du sénateur Evaliière Beauplan, est encore plus exhaustif que celui de Latortue. Sur plus de 600 pages, la commission parlementaire n’a pas seulement analysé la manière selon laquelle ont été autorisées les résolutions d’urgence, sinon qu’elle a énuméré chacune des entreprises privées et institutions publiques qui ont participé et exécuté les contrats de reconstruction, les montants déboursés et l’état dans lequel se trouvaient les projets qui ont reçu des fonds dans un processus qui, conformément à ce qu’a déterminé l’instance du Sénat, était « plein d’anomalies, d’irrégularités, d’actes de malversation et de prévarication » dans lequel n’ont pas été protégés les intérêts de l’État haïtien.

Autant l’audit de Latortue que celui de Beauplan ont analysé les 15 résolutions d’urgence que les gouvernements haïtiens ont approuvées pour utiliser rapidement l’argent de Petrocaribe et la manière selon laquelle les contrats ont été octroyés à chaque entreprise. Deux présidents et six premiers ministres, sans compter des fonctionnaires d’autres institutions, se sont retrouvés sous la loupe parlementaire. Les accusations pour népotisme, violation systématique des lois, enrichissement illicite, détournement de fonds, extorsion et fraude, cependant, ont été principalement dirigées contre les ex-premiers ministres Jean Max Bellerive et Laurent Lamothe et contre Michael Lecorps, ex-président du Bureau de Monétisation des Programmes d’Aide au Développement (BMPAD pour ses sigles en français). Les trois ont nié les charges et indiqué que les accusations contre eux étaient sans fondements.

« Petro Ciao »

AAu milieu du mois d’août, dans les rues de Port-au-Prince et d’autres villes d’Haïti, ont commencé à apparaître des affiches avec la phrase « Kot kòb Petrocaribe a ? » (Où est passé l’argent de Petrocaribe ?). Les réclamations de la société haïtienne ont petit à petit augmenté et le cas n’en est pas resté aux audits officiels détenus par des intérêts politiques ni en plainte civiles attrapées par la bureaucratie des tribunaux. Ils sont passés par les réseaux sociaux avec le #PetrocaribeChallenge, un hashtag qui a servi à ce que les citoyens haïtiens portent plainte en ce qui concerne la disparition millionnaire des ressources de la coopération vénézuélienne, mais c’est également passé dans les rues. Le 24 août dernier des centaines de personnes sont sorties pour manifester contre le gaspillage et la corruption de Petrocaribe et sont arrivés au siège de la Cour des Comptes, à Port-au-Prince, en chantant « Petro Ciao », une adaptation de « Bella Ciao », le fameux hymne de la résistance antifasciste italienne. « L’argent a été dépensé, on ne sait toujours pas où. Nous exigeons l’arrestation de tous les voleurs », chantaient les manifestants.

Depuis lors ils ont continué dans les rues du pays. Le 17 octobre dernier, les protestations sont devenues violentes. Suite aux incidents, le président Moïse a promis une enquête à fond, a destitué son chef de cabinet, Wilson Laleau, qui avait été ministre des Finances, et à 16 de ses conseillers, dont les noms apparaissent dans les audits sur l’utilisation des fonds de Petrocaribe. À la fin de ce mois, Jean-Henry Céant, premier ministre d’Haïti, a annoncer la création d’une commission pour enquêter sur ce chapitre de la #Petrofraude, et a invité tous les secteurs du pays à y participer, mais les groupes civils qui ont encouragé les protestations se sont opposés à l’initiative officielle et ont insisté sur le fait que les responsables soient jugés.

Ça fait des années que les autorités sont sur la piste de l’argent que Martelly lui-même a reconnu qu’il avait disparu. À l’enquête parlementaire s’est unie une investigation aux États-Unis –toujours en cours- à la suite de soupçons que les ressources de Petrocaribe impliquées dans la corruption et le blanchiment d’actifs auraient pu être passées par le système financier nord-américain. Une des conséquences de cette enquête a eu lieu en juin 2018, quand le Département du Trésor des États-Unis a sanctionné le sénateur dominicain Félix Bautista sous la « Global Magnitsky Act ».

Le parlementaire du Parti de la Libération Dominicaine (PLD) au pouvoir a été un des grands bénéficiaires des contrats de Petrocaribe à Haïti et, selon les autorités américaines, il avait utilisé « ses connexions pour gagner des contrats publics » pour reconstruire ce pays. Le Bureau de Contrôle des Biens Étrangers (OFAC pour ses sigles en anglais) a congelé ses comptes et ceux de quelques-unes des entreprises associées aux contrats haïtiens : Constructora Hadom SA, Soluciones Eléctricas Mecánicas Hadom S.R.L. ; Seymeh Ingenieria SRL, Inmobiliaria Rofi SA et Constructora Rofi S.A., et a interdit à des entreprises établies aux États-Unis de faire des affaires avec ces compagnies. En outre, Bautista, son épouse et leurs enfants ne pourront plus pénétrer aux États-Unis.

Bautista a milité pour le PLD pendant plus de 30 ans et a été un des dirigeants les plus proches de l’ex-président dominicain Leonel Fernandez. Grâce à son soutien il en est arrivé à diriger le Bureau des Ingénieurs Superviseurs des Chantiers de l’État (OISOE), une entité publique chargée de fiscaliser tous les chantiers publics d’infrastructure. Il y a été à deux reprises, de 1996 à 2000 et ensuite de 2004 à 2010, à chaque occasion nommé par Fernandez, qui a conduit la République Dominicaine à faire partie de Petrocaribe et a été une figure dans laquelle le défunt président Hugo Chavez, créateur de l’accord énergétique, et Maduro ont placé leur confiance dans des circonstances complexes pour les dirigeants vénézuéliens. Fernandez, par exemple, a aidé à surmonter la crise diplomatique survenue en 2008 entre le Venezuela, la Colombie et l’Équateur au sujet de l’assassinat du chef guérillero colombien sur le territoire équatorien et du fait de laquelle des vents de guerre ont soufflé. Ensuite en 2017 il a accompagné un dialogue entre l’opposition et l’actuel président vénézuélien qui vivait un de ses pires moments politiques entouré de manifestations qui lui demandaient de renoncer.

La place Hugo Chavez de Port-au-Prince comprend des installations sportives / DENNIS RIVERA, « QUOTIDIEN LIBRE » RÉPUBLIQUE DOMINICAINE

Les comptes du parlementaire allié de Fernandez sont depuis des années sous supervision et soumis à des processus judiciaires qui sont jusqu’à maintenant restées sans conséquences légales. En octobre 2014 l’alors procureur général de la République Dominicaine Francisco Dominguez Brito, a introduit l’ultime plainte contre Bautista dans laquelle il le soupçonnait, en même temps que plusieurs associés, de s’être enrichi de manière injustifiée pendant son passage à l’OISOE. L’ex-procureur parlait de « complexes mouvements financiers » qui prouvaient le blanchiment d’argent et la corruption de la part de Bautista avec le soutien de six de ses proches, entre associés et membres de la famille. Dans l’accusation présentée par le Bureau du Procureur Général étaient révélés les mouvements bancaires en République Dominicaine du sénateur et indiquait qu’entre juillet 2011 et décembre 2012 a débuté une inusuelle acquisition de certificats de dépôts qui se sont élevés à 3,7 millions de dollars. Cette enquête a été archivée par la justice dominicaine en octobre 2015 car les preuves qui appuyaient la demande du Bureau du Procureur Général auraient été obtenues sans l’autorisation d’un juge.

Entre 2010 et 2011, déjà comme sénateur, Bautista a obtenu le feu vert du gouvernement haïtien pour trois de ses entreprises, avec des contrats qui se sont élevés à environ 348 millions de dollars pour la reconstruction du Palais Législatif et les développements résidentiels de Bowenfield et Fort National. Une copie d’un rapport comptable attribué à Bautista par des enquêteurs du cas a été examiné pour ce travail journalistique de #Petrofraude. Selon le document, qui a préalablement été exposé dans les médias dominicains, à la fin de décembre 2011 le tout récent sénateur avait reçu sur des comptes bancaires à Haïti associés à lui un total de 68,5 millions de dollars pour faire avancer non seulement la reconstruction du centre législatif et les chantiers de Bowenfield et Fort National, mais aussi le système de drainage La Saline et le complexe résidentiel Morné à Cabri. Le document montre que presqu’un tiers de cet argent s’est envolé de l’autre côté de l’île, en République Dominicaine, à travers des transferts bancaires à cinq entreprises du parlementaire ou de ses proches.

Morné à Cabri serait un complexe de 3 000 logements et un parc industriel, mais il n’a pas été achevé / DENNIS RIVERA, « QUOTIDIEN LIBRE » RÉPUBLIQUE DOMINICAINE

Le rapport du Sénat haïtien révèle que ni Hadom ni Diseños R.M.N.S.A. n’étaient habilitées à développer aucun projet dans ce pays car elles n’avaient pas les cinq années d’expérience exigées par les lois haïtiennes pour être bénéficiaires de contrats publics. Mais cela n’a pas arrêté le gouvernement de l’alors président d’Haïti, René Preval, pour qu’en novembre 2010 il débourse 10 millions de dollars d’un total de 33,76 millions, comme acompte pour la reconstruction du Palais Législatif qui s’est effondré du fait du tremblement de terre. Au jour d’aujourd’hui, le siège parlementaire est toujours de la terre, des mauvaises herbes et le parking de quelques véhicules. Le pouvoir législatif haïtien tient toujours ses sessions dans un bâtiment basic, d'une construction préfabriquée, qui a été érigé temporairement après le tremblement de terre dans l’avenue La Saline de Port-au-Prince. « Ont été remis 10 millions de dollars à Bautista, et rien n’a été fait », déplore Latortue.

Pendant ce temps, Bowenfield, un ambitieux projet résidentiel et de rénovation urbaine à Port-au-Prince, n’est toujours qu’une idée qui existe seulement sur les plans. Lors d’une visite, des journalistes de cette enquête ont vérifié que dans les faits il s’agit de plusieurs kilomètres de mauvaises herbes et ordures. Sur un gigantesque terrain en face d’où devraient être les bâtiments résidentiels subsiste seulement un refuge que la Croix Rouge a créé après le tremblement de terre pour s’occuper de personnes avec handicap qui se sont retrouvées affectées par le séisme de 2010. Ils continuent à être là, dans de précaires baraques de zinc construites sur des rues de terre, sans électricité ni systèmes d’eau potable, égouts ou ramassage des poubelles et avec un réservoir d’eau communautaire. La seule chose qui change est qu’ils sont toujours plus nombreux. Quand la Croix Rouge s’en est allée et qu’aucune autre organisation d’aide internationale ne s’est chargée du refuge, les membres de leurs familles ont déménagé avec eux. Dans la zone, qui a été un jour une communauté de 378 personnes avec handicap, survivent maintenant plus de 4 000, y compris une croissante population infantile qui n’a pas les services basics ou écoles et qui passent leurs journées à jouer dans les rue de boue et poussière.

Sur le terrain où sera construit le complexe urbain de Bowenfield subsiste toujours un refuge érigé suite au tremblement de terre de 2010 / DENNIS RIVERA, « QUOTIDIEN LIBRE » RÉPUBLIQUE DOMINICAINE

Fort National, un autre immense projet de construction de logements dans une communauté de Port-au-Prince qui a été partiellement détruite par le tremblement de terre, a été assumé et achevé par une agence de l’Organisation des Nations Unies (ONU) –le Bureau des Services pour Projets (Unops)- et non par l’entreprise du sénateur dominicain qui a reçu le contrat. La raison ? Malgré le fait que R.M.N. et Constructora Rofi (toutes les deux de Bautista) ont été autorisées à construire Bowenfield et Fort National, quand Martelly a assumé la présidence d’Haïti il a réassigné tous les fonds de ces deux projets pour Morne à Cabri, un autre énorme programme de 3 000 logements dans la banlieue de Port-au-Prince qui comprendrait un parc industriel.

Les habitants de Morné à Capri vivent dans d’austères appartements / DENNIS RIVERA, « QUOTIDIEN LIBRE » RÉPUBLIQUE DOMINICAINE

Aujourd’hui les constructions qui s’y dressent contrastent entre elles. La première étape a été terminée, mais les suivantes en sont restées à mi-chemin. Ses résidents ont improvisé des fenêtres de blocs avec un peu de ventilation ou les ont laissées nues, et ont envoyé des connexions vers des pylônes électriques pour pouvoir avoir de la lumière.

Lumeine Sanon occupe depuis deux ans un des austères appartements inachevés de Morne à Cabri. C’est un espace de deux minuscules pièces, une cuisine pleine de verres et assiettes multicolores qui ne vont pas ensemble, sans réfrigérateur ni cuisinière et dans laquelle on cuisine seulement au charbon. Les toilettes sont un espace avec un tube duquel il n’est jamais sorti d’eau et dans lesquelles il n’0y a pas de cuvette. Lumeine a honte pendant quelques secondes, quand elle indique finalement que le siphon de la douche est ses latrines.

La répartition

Dans les documents comptables attribués à Bautista, il est signalé qu’entre le 3 mars et le 11 mai 2011 la candidate présidentielle haïtienne Mirlande Manigat a reçu 550 000 dollars du sénateur comme apport à sa campagne, opération que deux ans plus tard elle a elle-même admis. L’autre candidat, Michel Martelly, qui a fini par devenir le président d’Haïti entre 2011 et 2016, aurait reçu, en différents paiements en liquide, quelques 1,75 millions de dollars pour sa campagne, bien qu’il l’ait toujours nié. Le trajet des mouvements de Bautista a été suivi d’autres perspectives. Dans une demande présentée par le politique Guillermo Moreno en 2013, il est affirmé qu’à partir de comptes liés au sénateur ont été réalisés des transferts à l’entreprise Inversiones Corporativas pour 468 000 dollars en mai 2011. La destination finale a été la Fondation Globale et Développement (Funglode), une organisation à but non lucratif de l’alors président Leonel Fernandez. La demande a été archivée cette même année car la justice a considéré qu’il n’était pas possible d’attribuer des conduites déterminées que « la législation dominicaine ne typifie pas et par conséquent, ne sanctionne pas », conformément à la décision de Bureau du Procureur du District National. Efforts ont été faits pour converser avec l’ex-président Fernandez, mais sa Direction des Communications a refusé de parler de ce sujet.

3.118.000 dollars (US $)

Des documents indiquent que le sénateur Bautista aurait donné plus de trois millions de dollars à des politiques de toute la région.

Le rapport de comptabilité auquel l’accès a été donné par #Petrofraude reflète aussi des transferts d’argent à partir de comptes haïtiens du sénateur vers le Pérou et le Guatemala. Il y a deux virements bancaires en date du 28 mai 2011 pour 200 000 dollars pour « le Guatemala » et 150 000 dollars de plus pour « le Pérou ». La même année pendant laquelle la justice dominicaine a rejeté la demande de Moreno contre Bautista, le nom du sénateur apparaissait dans une enquête pour présumés apports illégaux à la campagne présidentielle péruvienne de 2011, en faveur d’Alejandro Toledo, alors candidat présidentiel pour « Pérou Possible » et qui avait gouverné le pays entre 2001 et 2006. Selon ce qui a retenti dans les médias, les courants de financement ont été des transferts à travers des entreprises liées au parlementaire dominicain, comme Inmobiliaria Hemisferio et Constructora Infepre. Bautista a dit que oui, il y a eu financement pendant la campagne électorale, mais que les apports n’ont pas été pour Toledo, mais pour « Pérou Possible » et qu’il n’y avait pas de limitation légale pour le faire.

Dans le cas guatémaltèque, le nom de Bautista a surgi en janvier 2017, au milieu de l’agitation internationale pour les pots de vin d’Odebrecht. L’enquête du Bureau Spécial du Procureur contre l’Impunité du Guatemala le relie à l’ex-vive-présidente de ce pays, Roxanna Baldetti, mais le sénateur a répondu à l’époque à des médias dominicains qu’il avait l’intention d’ouvrir une entreprise de construction dans le pays centraméricain, mais qui ne s’est jamais concrétisée.

L’origine d’une fortune

Celles de Bautista ne sont pas les seules entreprises dominicaines favorisées à Haïti par les contrats publics avec des fonds de Petrocaribe. De nouvelles routes, la réhabilitation de vieilles, des collèges, des hôpitaux et marchés dans tout le pays ont été quelques-uns des chantiers qui ont été attribués à des compagnies et entrepreneurs de l’autre côté de l’île Hispaniola qui n’ont pas présenté les attestations minimums exigées par les lois haïtiennes, conformément aux audits.

La fraude se cache tout au long d’Haïti derrière des barrières rouges. Les gouvernements haïtiens ont décidé de couvrir l’inaccomplissement de centaines de projets financés par Petrocaribe derrière les murailles métalliques, tellement présentes dans la vie des haïtiens, que dans ce pays, qui promet quelque chose et ne tient pas sa promesse est populairement appelé « tòl wouj » (barrière rouge, en créole).

Celle qui couvre le marché au poisson de Fontamara est une des rares qui permet d’apercevoir de l’extérieur le chantier inachevé. Le nouveau marché coûterait 15,6 millions de dollars, mais le chantier est paralysé. Les autorités haïtiennes ont déboursé huit millions de dollars, conformément aux registres du Sénat, et à la suite d’un acompte en juillet 2015, il n’y a plus eu d’argent. L’entreprise IBT, responsable de la construction du marché de Fontamara, a aussi à sa charge trois autres projets qui n’ont pas abouti : l’hôpital Simbi et les lycées Toussaint Louverture et Alexandre Pétion.

IBT Group est une établie enregistrée au Panama et présidée par José Ramon Brea Gonzalez, un éminent entrepreneur dominicain dont la proximité du pouvoir, autant à Haïti qu’en République Dominicaine et au Panama, lui a valu des contrats publics dans toute l’île Hispaniola et en Amérique Centrale. Bien que sur son site web il indique que les chantiers à Haïti ont été terminés, la vérité est que c’est loin d’être le cas.

Il y a plus de six ans a été démoli le vieux marché pour un construire un nouveau qui n’est pas encore terminé / DENNIS RIVERA, « QUOTIDIEN LIBRE » RÉPUBLIQUE DOMINICAINE

Brea Gonzalez n’est pas un étranger en République Dominicaine : il y est titulaire de plus de 30 compagnies, entre cimetières, sociétés importatrices d’aliments, moyens de communications et jusqu’à des centres de stockage de cordons ombilicaux. Au Panama il en préside neuf de plus parmi entreprises de construction, fabricants de combustibles et une société qui commercialise du matériel médical. La compagnie n’est pas passé inaperçue dans l’isthme, du fait de supposés pots de vin qui ont été payés à l’ex-président panaméen Ricardo Martinelli, actuellement prisonnier dans son pays, à travers un dirigeant d’IBT Group qui était proche du gouvernant d’Amérique Centrale.

Une autre entreprise que l’audit du Sénat de 2017 a placée sous la loupe a été le Groupe d’Ingénierie « Estrella ». Conformément au rapport, lui ont été attribués des chantiers malgré le fait qu’il ne remplisse pas toutes les conditions pour les recevoir. Les enquêteurs ont également détecté que les acomptes dans les exécutions des 19 contrats assignés, plusieurs d’entre eux déclarés d’urgence, marchait à un rythme physique qui ne correspondait pas aux déboursements d’argent réalisés. La compagnie a également été contestée pour la rénovation urbaine de la ville de Gonaïves pour laquelle, conformément aux documents, chaque kilomètre de la route coûte 1,23 million de dollars, alors qu’une autre entreprise a facturé 995 254 dollars pour un chantier similaire.

Brea Gonzalez a été contactée pour le présent travail mais n’a jamais répondu, de même que ne l’ont pas non plus fait le sénateur Bautista ni les porte-paroles du Groupe d’Ingénierie « Estrella ».

L’éclairage présidentiel

Les rues d’Haïti entre pots métalliques plein de charbon qui servent de lampes aux vendeurs informels qui se répandent tout au long des trottoirs. Un plan pour introduire des luminaires alimentés avec l’énergie solaire a été conçu dans le cadre de Petrocaribe pour sortir le pays de l’obscurité qu’est Haïti une fois que tombe la nuit. Le Sénat, dans son rapport de 2017, a décrit un patron dans tous les contrats. Les luminaires solaires qui ont été installés à partir de l’année 2012 ont été achetés à des entreprises que les ont vendus avec surfacturation, une d’elles appartenant à l’actuel président d’Haïti, Jovenel Moïse. En janvier 2013, le mandataire haïtien, qui n’était alors pas directement dans le jeu politique dans lequel il est ensuite arrivé de concert avec Martelly, a signé un contrat pour l’installation de 65 luminaires solaires dans les communes de Savanette et Mont-Organisé, en représentation de la compagnie haïtienne d’Energía S.A. (Comphener S.A. pour ses sigles en français), laquelle il a aidé à fonder cinq années auparavant, conformément à l’enquête parlementaire.

Il s’est agi d’un contrat pour 116 058 dollars (4,95 millions de gourdes haïtiennes), dont l’exécution s’est résolue en moins d’une journée, mais à un coût extrêmement élevé. Selon les documents, chaque luminaire a coûté 76 144 gourdes haïtiennes, une surfacturation que le Sénat a estimée à 105,3 pourcents par rapport au prix normal des luminaires.

Le contrat octroyé à Moïse, qui n’avait pas les autorisations requises par les autorités, est à peine une goutte d’eau parmi les 12 entreprises qui ont installé quelques 7 499 luminaires solaires, tous avec une surfacturation d’entre 100 pourcents et presque 400 pourcents dans quelques cas, conformément aux auditeurs. De pair avec Comphener S.A., d’autres compagnies comme Burocad, GPL Solar LLC, Enstrap, Suntech Solar Haití, Esolar Haití, Maxitech S.A., Green Solar Specialist, GK Import Export S.A., Elmacen S.A. et Besuc S.A. ont reçu des autorisations irrégulières et ont surfacturé les luminaires conformément au rapport parlementaire. L’État haïtien, à travers les fonds de coopération, a destiné à l’installation de l’éclairage public quelques 3,14 millions de dollars et « aucun d’eux ne fonctionne bien », a dit le Sénateur Nenel Cassy, qui a participé à la commission parlementaire qui, en 2017, a audité les ressources.

Depuis un petit bureau au parlement temporaire qui a été construit il y a huit ans, Cassy a raconté aux journalistes de #Petrofraude que le cas de ces luminaires est justement ce que maintient l’enquête sur les fonds de la coopération vénézuélienne sans résultats judiciaires. Après qu’en novembre 2017 soit présenté le rapport, se sont passés deux mois jusqu’à ce que le document réussisse à parvenir à la plénière du Sénat et, bien que l’espoir de la commission d’enquête était que le cas soit remis aux mains de la justice, la majorité parlementaire que conserve le président Moïse au Sénat a détenu l’initiative et ce document de 656 pages a été retourné à la Cour des Comptes. Il y repose toujours jusqu’à maintenant.

« Il y a 40 ministres et directeurs généraux d’organismes de l’État impliqués dans les gestions corrompues avec des ressources de Petrocaribe », a souligné le sénateur, qui a fait observer qu’un des graves problèmes d’Haïti est le manque de séparation entre les pouvoirs publics. « Ce cas est difficile car le nom du président est mentionné dans le rapport », a-t-il tranché. Moïse n’a pas fait référence à la au cas dans lequel il est impliqué, mais en octobre 2018 il a promis d’ouvrir une enquête sur la coopération vénézuélienne. Il a été écrit au Secrétariat du Conseil des Ministres d’Haïti pour demander la version présidentielle, mais il n’a pas été obtenu de réponse.

En raison de cet obstacle, s’est ouverte une autre voie : celle des actions civiles. Jusqu’à fin août avaient déjà été introduites 63 demandes judiciaires auprès de la cour d’instruction de la part de citoyens qui cherchent une réponse et des sanctions pour les responsables. Un des avocat qui s’occupe des dossiers, André Michel, a assuré qu’à propos de Petrocaribe à Haïti il ne s’agit pas seulement d’une dilapidation, sinon que l’argent a été délibérément utilisé pour acheter des actifs à l’étranger. « L’argent a été volé, mais personne ne sait où il se trouve ».

Les stades du fils du président

Une partie de l’argent de la reconstruction a été destinée à des projets de parcs sportifs et de places qui n’ont pas résolu les urgences du million et demi de haïtiens qui se retrouvés affectés en raison du séisme de 2010. À la tête de tous ces projets se trouvait Olivier Martelly, le fils de l’ex-président haïtien et également connu comme le chanteur Big O. L’exécution des stades sportifs a été infestée d’irrégularités, conformément aux autorités parlementaires. Un total de 25,6 millions de dollars a été utilisés pour la construction de 14 stades de football, contrats qui ont été emportés par deux entreprises en particulier : Secosa et J&J Construction, mais aucune des installations sportive n’a été terminée. Quand en 2011 ont été autorisés les contrats, la compagnie J&J Construction n’existait même pas car elle avait été dissoute par ses actionnaires en septembre 2010, conformément à l’enquête parlementaire. Cela n’a pas empêché le déboursement de fonds pour cette entreprise qui a fonctionné comme entreprise de construction de terrains sportifs et comme superviseuse d’écoles qui étaient construites par Secosa. Il a été écrit à chacune des deux compagnies par courrier électronique, sans résultats pour obtenir une version des faits dénoncés. Pour le Sénat, ces contrats ont été la représentation de « faveurs et clientélisme » qui ont inclus la surfacturation, selon le rapport d’audit parlementaire. L’ex-président Martelly, qui est également chanteur, a remis en question les accusations à son encontre y compris sur le ton de la moquerie. Lors d’une présentation en 2018, en plaisantant il a dit qu’il avait utilisé une partie des fonds déviés pour investir dans des chaînes privées d’hôtels qui fonctionnent à Haïti. Le scandale qui a suivi l’a obligé à rectifier par écrit en septembre de cette année-là, à réaffirmer qu’il s’agissait d’une blague qu’il avait faite comme artiste et à valoriser l’importance de la transparence. Il a été écrit à la société de production de Big O pour obtenir des commentaires du fils de Martelly, sans réponse.

Le sénateur Cassy a lamenté le peu de volonté non seulement d’enquêter sur toute la corruption, mais aussi de laisser Haïti sans le développement que les milliers de millions de dollars prêtés par le Venezuela aurait signifié pour ce pays. « Aucun gouvernement qui est arrivé après la signature de Petrocaribe n’a voulu développer les plans de production qui auraient permis de faire croître le pays. Ils ont préféré destiner tout l’argent à des projets fantômes », a-t-il condamné.

Le marché de Wharf de Jérémie a passé des mois avec ses portes fermées, pendant que les commerçants continuent à vendre dans les rues / DENNIS RIVERA, « QUOTIDIEN LIBRE » RÉPUBLIQUE DOMINICAINE

Le drame des fonds a même des expressions paradoxales, comme celle des plans qui si ont été terminés, mais qui ne fonctionnent pas. Sur le côté d’une des zones les plus pauvres de Port-au-Prince s’est érigé Wharf de Jérémie, un complexe communautaire qui servira à s’occuper de la population exclue qui vit à Cité Soleil, un gigantesque quartier pauvre de la capitale haïtienne plein de maisons en bois et en zinc, avec des bâches pour improviser le manque de toits qui ont cédé à cause de l’oxyde. Le complexe possède une énorme école de formation professionnelle qui a tout juste commencé à fonctionner en février, et un marché qui, bien qu’il puisse servir aux commerçants informels qui vendent dans les rues alentour, il y a des cadenas à ses portes. « Ça me contrarie car il est très bien fait, mais on ne peut pas l’utiliser », a dit Josy Philistein, une habitante de la zone. Il a été exécuté par l’entreprise Sotech.

Juste derrière le complexe il y a une école, l’institution Mixte Maison, un petit espace d’à peine trois pièces minuscules dans lequel il y eu un jour non pas des étudiants, sinon une décharge d’ordures et des cadavres de victimes de la violence quotidienne de la zone. De l’intérieur on sent la puanteur qui arrive du contigu drainage congestionné de déchets qui se dirigent vers la mer, l’un des nombreux qui sont éparpillés dans tout Port-au-Prince. Le directeur de l’école, Ronald Jean Marie, qui est également à la tête d’une organisation sociale de Cité Soleil, a raconté à des journalistes de #Petrofraude que dans ce peu d’espace il essaie d’accueillir 300 enfants à des activités scolaires et extrascolaires. Il ne sait pas à qui s’adresser pour utiliser les nouvelles installations qu’ils ont à côté et qui ont coûté près de 20 millions de dollars qui sont arrivés à travers le financement vénézuélien.

Ronald Jean Marie dirige une petite école qui reçoit 300 enfants, bien qu’à côté il y ait un énorme centre qui a coûté 20 millions de dollars US / DENNIS RIVERA, « QUOTIDIEN LIBRE » RÉPUBLIQUE DOMINICAINE

La même histoire se répète pour des écoles, hôpitaux, marchés et autres installations qui dans quelques cas ont bien été terminées, mais de celles que les citoyens haïtiens ne savent pas comment en tirer bénéfice.

Pendant ce temps-là, près de l’aéroport qui dessert Port-au-Prince, se dresse un Hugo Chavez de sept mètres de haut sur une place qui porte son nom dans la capitale haïtienne, construite elle aussi avec l’argent de Petrocaribe. La figure est délimitée par 17 hampes nues. Seulement une porte un drapeau, celui d’Haïti, taché et légèrement effiloché, qui est bercé par la brise chaude. L’image s’éloigne beaucoup de l’acte protocolaire lors duquel il y a presque trois ans flottèrent les pavillons des membres de Petrocaribe et qui a mené une haute commission du gouvernement du Venezuela à son inauguration.

Les autorités vénézuéliennes ont insisté sur le fait que l’utilisation des fonds de Petrocaribe à Haïti a été correct / DENNIS RIVERA, « QUOTIDIEN LIBRE » RÉPUBLIQUE DOMINICAINE

Aujourd’hui, autour de la statue de l’ex-président vénézuélien, un groupe d’enfants, malgré le vigoureux soleil de Port-au-Prince, courent sans s’arrêter derrière un ballon de foot, alors que d’autres font de la photographie. Ils sont d’une organisation communautaire appelée Conscience Nationale pour un Nouveau Haïti (CONNA-H) et en musique de fond résonne « Mwen fè yon rèv » (« J’ai un rêve », en créole haïtien), une chanson qu’ils ont enregistrée il y a peu et qui parle d’un Haïti qui se lève et laisse les calamités derrière. La scène se déroule à moins d’un kilomètre du terrain où il y a huit ans la Croix Rouge avait temporairement dressé le refuge pour prendre en charge des personnes handicapées suite au tremblement de terre.

« Nous sommes des victimes de la corruption », signale Philogene Jocelyn depuis un des refuges qui se maintient depuis le tremblement de terre / DENNIS RIVERA, « QUOTIDIEN LIBRE » RÉPUBLIQUE DOMINICAINE

Ils y sont toujours, sinistrés et vivant sur une partie du même terrain sur lequel serait édifié l’immense projet résidentiel de Bowenfield, qui est toujours aujourd’hui une idée qui n’a pas été concrétisée. « Il y avait une pancarte qui annonçait un grand projet de construction ici et ensuite ils l’ont enlevée, et nous n’en avons plus rien su. Nous sommes des victimes de la corruption parce que ce qu’il était supposé qu’ils feraient pour nous n’a pas été fait », se lamente Philogene Jocelyn, un non-voyant qui vit dans le refuge depuis huit ans, alors qu’il s’appuie sur le bâton qui l’aide à marcher dans les rues poussiéreuses qui sont une métaphore d’une coopération qui a échoué.